Pascual Flores,
l’âme maritime de Torrevieja



De la goélette de 1917 à l’ambassadrice du patrimoine vivant
Sous le soleil du port de Torrevieja, la silhouette racée du Pascual Flores attire les regards : trois mâts, une coque de bois aux lignes fines, une voilure élégante tendue vers le large. Pour les habitants, il ne s’agit pas seulement d’un beau voilier : c’est un symbole de l’identité maritime de la ville, le témoin d’un passé où Torrevieja exportait du sel, des agrumes et des rêves vers toute la Méditerranée.


Un berceau de marins et de charpentiers
Au tournant du XXᵉ siècle, Torrevieja vit au rythme des marées et du commerce du sel. La lagune de La Mata fournit une ressource précieuse que les bateaux locaux exportent vers Alger, Marseille, Gênes ou Oran. Dans les cales, le sel alterne avec des cargaisons de fruits, d’huile et de vin.
Cette effervescence fait de la petite ville d’Alicante un centre de construction navale reconnu. On y compte près de deux cents navires en activité, dont une soixantaine de pailebotes – ces goélettes méditerranéennes à voiles auriques, rapides, robustes et maniables. Le mot vient de l’anglais pilot’s boat, « bateau pilote », adapté par les charpentiers espagnols en « pailebot ».
Les chantiers sont rudimentaires : les coques se montent sur la plage, directement sur le sable. Les artisans utilisent les bois locaux – pin, chêne, eucalyptus – et des méthodes transmises de père en fils. Les outils sont simples, mais la précision est extrême : un maître calfat reconnaît une courbe de quille à l’œil nu.
Torrevieja et le commerce du sel
La naissance du Pascual Flores (1917)
C’est dans ce contexte qu’en 1917, le maître constructeur Antonio Marí Aguirre, surnommé El Temporal, met à l’eau un nouveau pailebot commandé par l’armateur valencien Pascual Flores Benavent.
L’embarcation prend naturellement le nom de son propriétaire : Pascual Flores. Conçu pour le cabotage, il transporte sel, bois, fruits et matériaux de construction entre la côte valencienne, les Baléares, la Sardaigne et l’Afrique du Nord.
Le navire mesure alors une trentaine de mètres, pour environ 210 tonnes de déplacement et plus de 400 m² de voilure. Sa coque large et son faible tirant d’eau lui permettent de fréquenter les ports peu profonds. Il peut naviguer avec un équipage réduit – une douzaine d’hommes – tout en maintenant une bonne vitesse.
Durant près de trois décennies, le Pascual Flores sillonne la Méditerranée, témoin silencieux d’une époque où le vent reste la première énergie du commerce.


Antonio Marí Aguirre, El Temporal
Du sel à la rouille : la fin d’une ère
L’après-guerre marque le déclin des voiliers de charge. Les moteurs diesel s’imposent, les cargaisons augmentent, les ports s’industrialisent. Comme beaucoup de ses semblables, le Pascual Flores est peu à peu transformé : sa coque reçoit un moteur auxiliaire, ses voiles sont réduites.
Au fil des reventes, il perd son nom d’origine et finit par naviguer sous pavillon britannique. Vers la fin du XXᵉ siècle, il est retrouvé abandonné dans le port de Milford Haven, au pays de Galles, coque éventrée, gréement brisé.
Pour Torrevieja, c’est une image douloureuse : l’un de ses derniers enfants de bois disparaît loin de sa terre.


Image d'illustration
Le rachat et la résurrection
En 1999, la municipalité de Torrevieja décide d’acheter le navire pour le ramener à la maison. L’idée est ambitieuse : restaurer la goélette et en faire un navire-musée témoin du patrimoine maritime local.
Le chantier est confié à Antonio Carrasco, charpentier de marine reconnu, et s’étale entre 2005 et 2008. La restauration est minutieuse : chaque pièce de bois est remplacée à l’identique, la charpente revisitée selon les plans d’origine. Mais le projet coûte cher, et la polémique enfle : certains élus dénoncent une « folie budgétaire ».
Une fois terminé, le Pascual Flores est exposé à quai… puis laissé à nouveau à l’abandon. Le bois souffre, l’humidité gagne, la coque se déforme. Beaucoup craignent que le rêve ne sombre une seconde fois.
2020 : le renouveau grâce à la Fondation Nao Victoria
En 2020, la ville signe un accord de collaboration avec la Fondation Nao Victoria, organisme espagnol spécialisé dans la restauration et l’exploitation de grands voiliers historiques (Nao Victoria, El Galeón, Santa María…).
Le navire est transféré aux chantiers de Punta Umbría (Huelva) pour une remise en état complète : charpente renforcée, gréement renouvelé, aménagements modernisés, équipements de sécurité conformes à la navigation actuelle.
En 2021, le Pascual Flores renoue avec la mer : il reprend la route des festivals maritimes et des ports espagnols, transformé en musée flottant et ambassadeur de Torrevieja.
Original ou réplique ? Le débat persiste
Certains passionnés affirment que le navire actuel est une réplique fidèle, la coque d’origine ayant été trop dégradée pour être sauvée. D’autres – dont la Fondation Nao Victoria – soutiennent qu’il s’agit du véritable Pascual Flores, reconstruit sur ses bases et conservant une partie de sa structure historique.
Ce débat n’est pas anodin : il touche à la définition même du patrimoine maritime. Quand une restauration remplace plus de la moitié des pièces, parle-t-on encore d’original ? Pour beaucoup, la réponse importe moins que la fonction symbolique : le Pascual Flores, réplique ou non, incarne l’esprit et la mémoire de Torrevieja.


Portrait technique du navire actuel
Port d’attache Torrevieja (Alicante)
Dimensions et équipement
Longueur totale (coque) : 34,14 m.
Largeur : 8,60 m.
Hauteur : 3,82 m.
Tirant d'eau : 3,08 m.
Hauteur du grand mât au-dessus du pont : 26,00 m.
Déplacement : 210 tonnes.
Plus de 400 m² de surface de voilure
3 mâts / 10 voiles
Sa ligne élégante et son allure lente en font un navire idéal pour les visites publiques et les événements nautiques.


Le Pascual Flores, ambassadeur de Torrevieja
Depuis sa renaissance, le pailebot participe à de nombreux festivals maritimes : Sète, Málaga, Cádiz, Huelva, Cartagena… Partout, il porte les couleurs de Torrevieja, rappelant le lien intime entre la mer, le sel et la vie locale.
Lorsqu’il revient à son port d’origine, il devient le centre d’une fête populaire. Les visiteurs montent à bord, découvrent les cabines, la salle des cartes, les voiles repliées. Des guides racontent l’histoire des charpentiers, la navigation au sextant, les cargaisons de sel empilées dans les cales.
En 2025, le navire est annoncé de retour à Marina Salinas, son port d’attache moderne, pour les fêtes de fin d’année, amarré face à la promenade maritime. Les visites se tiennent généralement du jeudi au dimanche, organisées par la Fondation Nao Victoria, avec billetterie sur place.
Torrevieja et la “route du sel”
Le Pascual Flores ne se comprend qu’en lien avec le sel, cette richesse naturelle qui façonna l’économie locale pendant deux siècles.
Les salinas de Torrevieja et de La Mata, exploitées depuis le XVIᵉ siècle, produisent un sel réputé pour sa pureté. Les voiliers comme le Pascual Flores chargeaient les sacs directement à la main, puis partaient livrer Marseille, Alger ou Palerme. Au retour, ils transportaient du bois ou des agrumes, créant un commerce circulaire vital.
Aujourd’hui encore, le sel demeure un pilier de l’identité locale : les montagnes blanches des salines sont visibles depuis la mer, et le musée de la Mer et du Sel de Torrevieja consacre une large place au Pascual Flores.


Un symbole de résilience et de transmission
L’histoire du Pascual Flores est celle d’un va-et-vient entre oubli et renaissance, à l’image de bien d’autres navires patrimoniaux.
Son parcours rappelle que le patrimoine maritime ne se limite pas aux objets exposés dans un musée. Il vit, il navigue, il respire. Chaque planche changée, chaque clou refixé perpétue un savoir-faire : celui des charpentiers de marine, des calfats, des voiliers et des capitaines qui connaissaient les vents par leur odeur.
Les jeunes visiteurs qui montent aujourd’hui à bord découvrent un monde disparu : celui d’une époque sans GPS ni moteur, où l’horizon dictait la route et où la mer était à la fois travail et destin.




Le Pascual Flores aujourd’hui : un musée vivant
À bord, l’aménagement mêle authenticité et pédagogie. Les cabines de marins ont été reconstituées, la cambuse (cuisine) restaurée. Des panneaux racontent l’histoire de la goélette, ses escales, les routes du sel.
Des expositions temporaires évoquent la navigation traditionnelle, les instruments anciens, les métiers de la mer. Des ateliers scolaires et des événements culturels s’y tiennent régulièrement.
La Fondation Nao Victoria prévoit de poursuivre ses tournées européennes, permettant à des milliers de visiteurs d’admirer ce navire né il y a plus d’un siècle sur une plage d’Alicante.
Pourquoi il faut aller le voir
Admirer le Pascual Flores, c’est plonger dans l’histoire méditerranéenne : celle d’une mer qui fut d’abord un espace de labeur et d’échanges. C’est aussi comprendre la fierté d’une ville qui a choisi de sauver un morceau de son passé au lieu de le laisser pourrir dans un port étranger.
Le navire incarne la persévérance : celle des artisans, des historiens, des bénévoles qui ont refusé l’oubli. En le visitant, on touche du doigt le travail patient des charpentiers et l’émotion des marins d’autrefois.
Informations pratiques (lorsqu’il est à Torrevieja)
Lieu : Marina Salinas, Port de Torrevieja
Dates : du 13 Novembre au plus Février
Visites : du jeudi au dimanche
Organisation : Fondation Nao Victoria
Billets : en ligne ou sur place
Durée moyenne : 30 à 45 minutes
Public : tout âge – visites commentées disponibles en plusieurs langues
Prix : à partir de 5€
Lien vers la billetterie : Cliquez Ici
Conclusion : un vent d’histoire
Le Pascual Flores n’est pas qu’un bateau ; c’est un livre ouvert sur la Méditerranée. Sa quille raconte la sueur des charpentiers, ses mâts évoquent les routes du sel, ses voiles rappellent le souffle de liberté de ceux qui vivaient du vent.
Cent ans après sa naissance, il continue de naviguer, porteur d’un message simple : le patrimoine ne meurt pas tant qu’il y a des hommes pour le faire revivre.


